Référendum au Tchad : la victoire de « Oui » au cœur de controverse
Une semaine après le référendum constitutionnel, la commission nationale chargée de l’organisation du référendum constitutionnel (Conorec) a proclamé la victoire de la Coalition pour « Oui », portée le premier Ministre de transition. Mais au sein de la classe politique tchadienne, des voix se lèvent pour appeler à l’annulation de ce scrutin, porté de la tête aux pieds, par les autorités de transition.
Il a fallu près de trois heures aux rapporteurs (Conorec), altérant le français à l’arabe mais aussi les brouhahas de quelques convives pour proclamer les résultats provisoires du référendum constitutionnel. Sur les « 8.237. 758 électeurs inscrits, 5.250.195 ont voté dont 4.270.897 de ’’Oui’’, soit 86% et 695.461 de ‘’Non’’, soit 14% », proclame Limane Mahamat, ministre de l’administration du territoire, de la décentralisation et de la bonne gouvernance, par ailleurs président de la Conorec. Le taux de participation est estimé à 63,75. L’ancien parti au pouvoir, le Mouvement Patriotique du Salut (Mps) qui soutient cette transition parle « du plébiscite du projet de constitution » et « de la victoire du peuple souverain dans son entièreté ». « La sérénité, le calme et la responsabilité observés durant le scrutin référendaire prouvent de manière éloquente l’attachement du peuple aux valeurs de paix et de stabilité, conditions premières de la refondation de la nation tchadienne», s’est réjoui le secrétaire général 2ème adjoint, chargé de la communication, mobilisation et sensibilisation, Me Jon Bernard Padaré. Une victoire qui n’est pas du goût de tous les acteurs. Le coordonnateur du Front de l’opposition crédible (Foc) trouve ce résultat « honteux ». « Nous avions prévu que la junte compilerait des résultats frauduleux. Dès le début de la transition, avec la manière dont le dialogue national a été organisé, il y avait une volonté manifeste de perpétuer les mêmes approches que l’ancien système. Tout a été marqué par des étapes antidémocratiques, avec une Conorec entièrement gouvernementale et des méthodes répressives, ainsi que l’usage abusif des moyens de l’État », fustige Yaya Dillo Djerou Bétchi.
Des irrégularités relevées
A la veille de la proclamation de ces résultats, le bloc fédéral a égrainé un chapelet d’irrégularités et demandé l’annulation de ce scrutin. Son porte-parole révèle que l’un des superviseurs de sa formation de Guidari, une localité située dans la Tandjile-Est, au sud du Tchad est arrêté et condamné. « Ndoglengar Ndonodjingar a été condamné ce matin à 6 mois d’emprisonnement avec sursis pour trouble à l’ordre public », précise Baniara Yoyana, sans pour autant donner plus de détails sur les circonstances de son interpellation. Il évoque entre autres du « manque et de l’absence de bulletins de vote pour le Non » et estime que certains citoyens ont été contraints à voter Oui, et d’autres empêcher de voter. «Le scrutin s’est déroulé en plein air, sans isoloir, dans la plupart des bureaux de vote », ajoute-t-il relevant que le Direction Générale de Sureté et de Sécurité Intégré de l’Etat (Dgssie), la garde présidentielle a obligé, les membres de cette force d’élite à « voter Oui » ainsi que leurs familles.
Outre ces irrégularités, des vidéos et images, sous réserve d’authentification, montrant des agents de laConorec remplir les bulletins de vote par le « Oui » viennent jeter du discrédit mais aussi de doute dans l’esprit de ceux qui ont émis des réserves sur la transparence et la crédibilité de ce scrutin.
La Cour suprême saisie
Aussi paradoxal que cela puisse paraître, c’est le Rassemblement national des démocrates tchadiens, Rndt/Le Réveil, le parti de l’ancien Premier Ministre de transition Pahimi Padacké Albert qui a introduit une requête aux fins de l’annulation des résultats de ce référendum. Son avocat, Me Mouné Koudangbé fustige la violation de l’article 7 de la charte de transition rénovée qui dispose : « l’organisation et la gestion de toutes les opérations électorales relèvent de la compétence d’une structure nationale impartiale et indépendante ». En plaçant la Commission nationale chargée de l’organisation du référendum constitutionnel sous la tutelle du ministre en charge de l’Administration territoriale, le gouvernement a selon lui bafoué les principes de l’impartialité, de la transparence, de la neutralité et d’équité. L’avocat parle d’un « référendum à crédibilité impossible » et qualifie la Conorec d’une « structure anticonstitutionnelle, comme tout scrutin organisé par elle. Mieux, toute la représentation régionale, préfectorale et sous-préfectorale du ministère de l’Administration territoriale chapotent d’office la Conorec dans son ressort territorial », indique Me Mouné Koudangbé.
Reste donc à la Cour suprême de trancher et sa décision est attendue incessamment ce jeudi sauf un report express.
Adama Gassi