TCHAD : Manifestations du 20 octobre : le rapport qui accable la junte

La commission nationale des droits de l’homme (Cndh) a publié le rapport d’enquête sur les manifestations du 20 octobre au Tchad qui a causé selon les derniers chiffres des autorités de transition, 73 morts. Si la commission révèle des cas de destruction des biens publics et privés, elle pointe du doigt l’utilisation « des moyens disproportionnés » par les forces de défense et de sécurité ayant causé au moins 128 morts.

C’est un rapport d’enquête de 85 pages qui donne avec chiffre à l’appui des détails entre autres sur des cas d’arrestations, de détentions, de morts, de disparition, de condamnation et d’inculpation dans les différentes villes du Tchad. La Cndh a révélé à l’issue de cette enquête, 943 arrestations dont 700 à N’Djamena, la capitale tchadienne, 153 à Sarh dans le Moyen-Chari, 42 à Koumra dans le Mandoul et 32 à Doba, dans le Logone orientale. Rien qu’à N’Djaména, l’épicentre des manifestations, la Cndh a enregistré « 700 arrestations, 26 détenus, 78 morts, 349 blessés ». Il s’agit des chiffres obtenus à la suite des audiences foraines de Koro-toro.

A Moundou, la capitale économique, l’on dénombre 16 arrestations, 5 détentions, 33 morts et 152 blessés. A la prison de Koro-toro, à l’extrême nord du pays, sur les 397 détenus, la Cndh a recensé 12 morts. « …Des témoins et victimes ont pointé du doigt les Forces de défense et de sécurité (Fds), ainsi que des personnes en tenues civiles à bord de véhicules sans immatriculation, qui tiraient à balles réelles sur les manifestants, occasionnant des morts et des blessés dans les 1er, 6ème, 7ème et 9ème arrondissements et en provinces. Certains corps ont été amenés dans les morgues, tandis que plusieurs dépouilles, discrètement jetées au fleuve ont été retrouvées par la suite par des pêcheurs », précise l’enquête qui note qu’aucune couche de la population n’a été épargnée.

Dans ce rapport, la Commission nationale des droits de l’homme reconnait qu’il n’a pas été facile de déterminer « le nombre exact de morts et de blessés ainsi que celui des arrestations qui se sont poursuivies pendant plusieurs jours après le 20 octobre ». « Des fouilles qui se sont opérées dans les domiciles, beaucoup de personnes ont été arrêtées juste pour avoir été en possession d’un drapeau aux couleurs nationales, symbole utilisé par les militants du parti les Transformateurs », révèle l’organisation.

Aussi paradoxal que cela puisse paraitre, le procès des manifestants du 20 octobre n’aura été d’après les informations recueillies par la Cndh qu’un cirque. « Le procès organisé pour juger les manifestants n’a été ni plus ni moins qu’une mise en scène. Des charges auraient été portées contre un grand nombre de détenus, lesquels ne les ont pas du tout reconnus, estimant que les juges ont condamnés des centaines d’innocents », rapporte la Cndh. De quoi alimenter le débat sur une justice aux ordres du pouvoir. Pire, complète la Cndh, « 32 personnes » sont tuées par « balles, torturées ou décédées par suite de leurs blessures, etc. durant leur transfert à la prison de Koro-Toro ». Des cas d’évasions sont rapportés par Cndh dans ce rapport.

Les manifestants ont, selon le Cndh, saccagé et brûlé le Commissariat de police du 9ème arrondissement de N’Djaména, causant « des destructions d’engins publics et privés » sans annoncer des pertes en vie humaine du côté des forces de l’ordre comme claironne à tout bout de chemin les autorités de transition.

En province, dans les villes durement touchées, le rapport révèle des situations quasi-identiques. A Moundou dans la capitale économique situé au sud du pays « plusieurs témoins ont indexé un agent travaillant dans la boulangerie « Nanou » pour avoir utilisé une arme à feu, faisant de nombreuses victimes dans les rangs des manifestants, sans pour autant être inquiété. Même si la manifestation s’est voulue pacifique, l’on a enregistré quelques actes de vandalisme, notamment dans deux quincailleries et une boulangerie », informe la Cndh.

A Koumra, dans le Mandoul, on « deux morts, plusieurs blessés et l’arrestation de plusieurs manifestants », dont des mineurs seront enregistrés. « Il s’avère que dans ces tristes évènements du 20 octobre 2022, les responsabilités sont clairement partagées », conclu la Cndh qui estime que « la coalition Wakit Tamma a commis une erreur monumentale, à l’origine de ces centaines de morts, de tous ces blessés et des destructions de biens publics et privés, car c’est à leur appel que les manifestants sont descendus dans les rues, en dépit de l’interdiction de ces marches. Certains manifestants ont été incités à sortir dans les rues dès le 19 au soir, voir le 20 octobre au petit matin, autrement dit, à des heures totalement inhabituelles (minuit) ce qui amène à penser de la part des organisateurs, à une préparation minutieuse à la violence ». Selon des témoignages recueillis par la Cndh beaucoup de manifestants avaient préalablement «ingurgité des substances psychotropes largement distribuées par les organisateurs».

Les Forces de défense et de sécurité (Fds) ont d’après la Cndh «violé des droits fondamentaux de l’Homme, dans leur volonté de maintenir l’ordre et de réprimer les manifestations, en utilisant des moyens disproportionnés».

Les Transformateurs chiffrent le nombre de personnes tuées pendant et après ces manifestations à plus de 300. «La Cndh a identifié plus de 128 morts, sans compter ceux extraits des fleuves et sans ceux comptés par Les Transformateurs qui ne font partie des organisations objet de ce rapport», a réagi le part sur sa page Facebook avant de conclure: «la vérité, ils ont tué plus de 300».

Après la publication du rapport, 8 des 11 commissaires de la Commission nationale des droits de l’homme ont dans un communiqué fustigé l’attitude du président de l’institution. Ils annoncent «ne pas se reconnaître dans ce rapport».

Adama Gassi

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