Tchad : Répression de la manifestation du 20 octobre : près de 4 mois après, des familles toujours inquiètes

Au Tchad, de nombreuses familles sont sans nouvelles de leurs proches après la répression sanglante des manifestations du 20 octobre dernier contre la prolongation de la transition. Malgré un semblant de vie normale, plusieurs familles vivent dans l’angoisse et la peur au ventre.  

Sur un cliché, Roseline montre du doigt la photo son mari à sa fille aînée d’à peine 4 ans. « Elle ne cesse de demander les nouvelles de son père et très souvent, je lui présente sa photo », témoigne la jeune-dame, qui tente de bercer le nouveau-né. Son mari a été enlevé par des hommes en treillis cagoulés, dans la nuit du 22 au 23 octobre 2022, au lendemain de la sanglante journée du 20 octobre, qualifiée par certains défenseurs des droits humains et leaders politiques de jeudi-noir. « Mon mari été arrêté avec deux de ses cousins dans la cour pendant qu’ils étaient à table. Depuis cette date, nous sommes sans nouvelles de lui. Et le nouveau-né qui a 2 mois aujourd’hui n’a jamais vu son père », témoigne-t-elle, d’un air inquiet.

Comme Mathieu (un nom d’emprunt), de nombreux autres jeunes sortis manifester ce jour-là ne sont plus rentrés. Assise sous une petite véranda en paille installée au milieu de sa cour, Rebecca, la sexagénaire, mine déconfite, vit quotidiennement la peur au ventre. « Je veux juste qu’on me dise si mon fils est vivant ou mort. S’il est en vie, je veux échanger avec lui pour me rassurer mais s’il est exécuté, qu’on me dise pour que je fasse mon deuil », ajoute-t-elle en sanglot. Son fils, l’un des militants des Transformateurs a été arrêté avec plusieurs autres jeunes au siège du Parti au lendemain de la journée de manifestation. La publication en mi-décembre de la liste des noms d’une vingtaine de militants du parti des Transformateurs déclarés morts par le représentant de la Fidh a donné une lueur d’espoir à cette mère. Une information démentie par le président du parti qui estime que la plupart de ces militants arrêtés au Siège du parti « ont été exécutés et jetés au fleuve ».

Certaines personnes gardent les souvenirs de ces douloureux événements se disent marquées à jamais. « Je passe des nuits cauchemardesques. Je sursaute toujours de mon lit. J’ai toujours des frissons à y penser et le sentiment qui m’anime le plus est celui de rendre justice à ces innocents massacrés, mutilés, disparus et emprisonnés », témoigne l’artiste et l’un des porte-paroles des Transformateurs Ray’s Kim pour qui, il est hors de question de lâcher prise. « Nous ne cesserons de tambouriner très fort pour qu’ils l’entendent même dans leur sommeil le plus profond », ajoute-t-il. Le devoir de mémoire des victimes, c’est aussi l’appel d’Élisabeth. « Les douleurs se ressentent dans les regards, dans le silence, dans l’atmosphère de notre quotidien », précise cette militante de la justice et de l’égalité qui se demande : « puissions-nous continuer cette lutte pour qu’ils reposent en paix » ?

Le clergé catholique qui tire la sonnette d’alarme qualifie les massacres du 20 octobre mais aussi les enlèvements et déportations d’une plaie « ouverte ». L’Église catholique sur ces événements. « L’exploitation de ces événements caractérisée essentiellement par le mensonge risque de conduire le pays dans le chaos », alertent les évêques pour qui, « aucune démocratie ne peut se construire en voulant éliminer toute opposition ». Des réactions qui témoignent de la persistance des blessures du passé et de « l’échec » du Dialogue national inclusif et souverain (Dnis) qui devait, à en croire le clergé, permettre de mener des débats francs et sincères et « de jeter les jalons d’un Tchad nouveau, solide et démocratique ». Une sortie qui sonne la fin de onze bonnes d’années d’hypocrisie où les dérives politiques se sont accentuées, l’injustice s’est considérablement généralisée, la gabegie, régionalisme et le népotisme sont transformés en mode de gouvernement.

Pour l’avocate et militante des droits de l’homme Me Jacqueline Moudeina, le procès Habré (Ndlr : ancien président tchadien condamné pour crime de guerre et crime contre l’humanité par les chambres africaines) n’aura pas servi de leçon aux dirigeants de transition au Tchad. « Si les gouvernants avaient pensé pour peu au dossier Habré, le 20 octobre 2022 n’allait pas avoir lieu. Les gens ont pensé qu’on peut baigner dans une impunité qu’ils se sont livrés à ces exactions. Le 20 octobre m’a renvoyé sur le terrain de septembre-noir. C’est un second septembre-noir », ajoute-t-elle.

Même avis du côté de sa consœur et compagne de lutte. « Il y a trop d’énormités dans ce pays. Quand on voit ce qui s’est passé le 20 octobre, tant de sangs innocents versés… Cela peut durer mais le temps de Dieu va arriver », plaide-t-elle.

Adama Gassi

Articles similaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Bouton retour en haut de la page